Vidéo et forme/Entretien avec Sophie Lagier

Vidéo et déconstruction de la forme

Entretien avec Sophie Lagier réalisé par Rébecca Pierrot©

CRITIQUES. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress avec Comité de lecture (pour cet article : Théo Arnulf, Stéphanie Barbetta, Claude Beyeler, Simon Hagemann, Izabella Pluta

Sophie Lagier est metteuse en scène, comédienne et pédagogue. Elle est directrice artistique de  ACETONE CIE, dédiée aux écritures contemporaines. Dans le cadre de l’entretien qu’elle nous a accordé en période de répétitions pour Genova 01[1] de Fausto Paravidino[2] (janvier 2022), la metteuse en scène nous explique comment la vidéo, pour ce spectacle, a pris une place moteur dans son processus de création alors que les nouvelles technologies n’occupent habituellement pas une place importante dans sa création artistique.

Rébecca Pierrot : Pouvez-vous retracer votre parcours de comédienne, metteuse en scène et pédagogue ?

Sophie Lagier : Au début, je voulais être comédienne, donc j’ai pris des cours de théâtre. Petite, j’avais fait beaucoup de musique et chanté dans des opéras où l’on m’a proposé à un certain moment des rôles d’enfant et c’est ce qui m’a donné envie d’être sur le plateau. J’ai alors pris des cours dans une école privée pour être comédienne et dès la fin de cette formation, j’ai eu envie de m’essayer à la mise en scène. J’avais déjà eu une expérience d’assistanat, un peu par hasard … Un metteur en scène était venu remplacer un professeur absent pendant un mois. A la fin de ce remplacement il m’a dit : « Tu n’as pas envie de faire de la mise en scène ? » ; je lui ai répondu : « Oui je crois mais je n’ose pas ». Comme il n’avait pas d’assistant pour le prochain spectacle, il m’a demandé si j’étais disponible. J’avais 21 ans, je l’ai fait, et c’est comme ça que j’ai eu ma première expérience en mise en scène avec Laurent Gutmann. J’ai créé juste après un premier spectacle qui était un travail de fin d’école. Nous l’avons présenté dans le OFF d’Avignon, la seule fois où j’ai fait Avignon d’ailleurs. Ainsi l’envie d’être metteuse en scène, c’est-à-dire de pouvoir initier les projets, s’est imposée. Au début, j’ai un peu cherché…

Phot. Sophie Lagier. Phot. DR

J’ai continué ma formation[3] à l’université pour avoir une formation théorique puis j’ai commencé à travailler et à jouer. J’ai suivi plusieurs stages d’interprétation, notamment deux avec Jean-Michel Rabeux, à l’issue desquels il m’a proposé d’être assistante à la mise en scène (entre-temps j’avais eu d’autres expériences d’assistanats à la mise en scène) et nous avons travaillé ensemble pendant dix ans. J’ai été sa collaboratrice. Durant ces dix ans, j’ai souvent évoqué mon envie de faire de la mise en scène et un jour il m’a dit cette phrase: « Tu sais, la différence entre un metteur en scène et un non metteur en scène, c’est qu’un metteur en scène fait ».  Je me suis dit alors: « Allons-y ». Et j’ai commencé comme ça. Grâce à La Compagnie Jean-Michel Rabeux et au collectif TRANS, j’ai pu structurer ma propre compagnie. C’est venu comme ça, plus d’une dizaine de spectacles. Parallèlement à tout cela, assez vite, j’ai donné des ateliers pour les adolescents dans les théâtres où j’avais fait mes premiers projets. La pédagogie et la transmission m’intéressaient déjà beaucoup et j’ai développé ces activités en donnant des cours pour des amateurs, des adolescents et des adultes, dans des écoles pour jeunes comédiens ou apprentis comédiens. J’ai assisté Jean-Michel Rabeux sur des stages professionnels, lors d’un travail au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, puis organisé des stages professionnels avec ma compagnie. Cela m’intéressait beaucoup. J’ai aussi travaillé à l’Université, à Nanterre, Poitiers, Besançon et finalement à Montpellier. La transmission est fondamentale pour moi. Elle est totalement intrinsèque à mon parcours. Du coup, j’ai passé les diplômes officiels d’enseignement du théâtre. Plus tard, il y a deux ans maintenant, j’ai validé un Master en dramaturgie/mise en scène.

RP : Durant ces quelques années, quels ont été vos rapports au multimédia, en tant que comédienne et en tant que metteuse en scène ?

SL : Au début, je n’avais aucun rapport avec le multimédia. Il faut savoir que je ne suis pas très forte en technologie, en tout cas je n’y connaissais vraiment pas grand-chose à cette époque et ça me paraissait vraiment très loin. Ces histoires de vidéos sur les plateaux qu’on commençait à voir beaucoup dans les années 1990. Ce n’était pas du tout mon affaire. Comme comédienne, cela ne m’est jamais arrivé. C’est aux environs de 2014 que j’ai commencé à m’y intéresser, plutôt en tant que metteuse en scène. Je voyais aussi des formes qui m’intéressaient beaucoup, de gens qui savaient vraiment très bien manier les nouvelles technologies. Évidemment, je voyais des choses avec de la technologie de très haut niveau comme chez Cyril Teste où je me disais « Ah d’accord, on peut faire tout ça ». Néanmoins, cela me paraissait très éloigné de moi, même financièrement, en comparaison des ressources financières disponibles pour l’élaboration de mes spectacles. Quand même, j’ai fait quelques tentatives.

Je crois que la première a été justement lors d’une intervention dans une école où j’avais fait un travail sur Théorème de Pasolini et là j’ai eu très envie de vidéo en direct. Cette approche s’est faite de façon empirique, mais cela m’a beaucoup intéressée. On travaillait sur le texte de Théorème, sur le roman, et comme c’était aussi un film, je trouvais qu’utiliser l’image filmique, à un certain moment, avait du sens. Nous jouions aussi sur la situation d’interruption comme si on filmait vraiment. Par la suite, j’ai refait deux ou trois petites tentatives : d’abord avec des travaux d’élèves, puis quand j’ai monté C’est l’anniversaire de Michèle mais elle a disparu[4] de Philippe Minyana (très important lui aussi dans ma formation d’ailleurs, un grand passeur). Dans ce travail, ce n’était pas de la vidéo mais de la projection d’images qui constituait le décor. Il s’agissait d’un spectacle joué dans des lieux non dédiés au théâtre ce qui impliquait une technique assez légère. La pièce se déroulait en une succession de tableaux, dans des lieux : le petit bois, la courette, le salon rouge, etc., et on avait eu recours à des projections vidéos qui délimitaient le plateau et tout se passait devant cette projection. J’avais aussi utilisé la vidéo dans le spectacle La Rabbia[5] de Pasolini en 2018. Dans cette mise en scène le texte venait d’un film. J’avais fait filmer des images qui venaient après le texte, en contrepoint, et donnaient un éclairage autre.  Quelque chose d’onirique, pas du tout concret, contrairement à ce qu’on est en train de faire avec Genova 01. Nous y remettons du concret, alors qu’avec La Rabbia c’était une forme beaucoup plus poétique et onirique, avec de longs plans séquences sur des visages. Je réalise que l’image filmique sur scène me questionne depuis 2014 !

RP : Et vous aviez travaillé en collaboration avec un vidéaste ?

SL : Non, c’était un peu empirique ! Mon assistant à l’époque m’a aidée, il était plus doué que moi sur toutes les choses liées au médias numériques justement.

RP : Votre intérêt porte tout particulièrement sur les écritures contemporaines, des écritures qui très souvent privilégient des formes libres, polyphoniques, qui permettent différentes strates de lecture d’une œuvre. Envisagez-vous l’utilisation de la caméra en direct ou de la vidéo comme un corollaire privilégié de ces écritures contemporaines, au sens où il permet ainsi différents champs de lecture d’une situation présente ?

SL : Oui. Cette remarque est très juste. C’est aussi lié à mon intérêt pour les écritures contemporaines et le fait que j’aime de plus en plus percuter les textes avec d’autres textes. La fragmentation, les montages et le fait d’introduire la caméra et de projeter de la vidéo en direct, me permettent aussi d’apporter une autre parole et de faire résonner les choses différemment, de les mettre sur un autre plan. Pour Genova 01, je n’avais pas tout de suite prévu l’utilisation de la caméra en direct, pas comme elle est en train de s’imposer, au fur et à mesure des répétitions. Au début, je voulais des projections pour donner les titres des grandes parties : Introduction, Prologue, Jeudi – 1er acte, Vendredi 2ème acte, etc…. C’est à la fois très formel et cette démarche raconte aussi la linéarité de la tragédie qui y est décrite. C’était une solution très simple au départ.

Phot. Petite salle du Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier, lors des répétitions de Genova 01 de Sophie Lagier dans le cadre du dispositif Studio Libre. Phot. ACETONE CIE©

RP : Je précise qu’en ce moment vous montez Genova 01 de Fausto Paravadino dont une maquette sera présentée début juin, au Warm Up, dans le cadre du Printemps des comédiens à Montpellier. La création est prévue en 2022 avec Scènes Croisées de Lozère. C’est une écriture qui me semble très libre (aucun personnage n’est distribué) et il y a quelque chose de très cinématographique dans cette installation de situations par tableaux successifs (un peu comme un scénario qui s’écrirait en direct). Cette pièce s’appuie sur un événement qui a été très médiatisé, à savoir les manifestations pacifiques qui ont eu lieu lors de la réunion du G8 à Gênes en 2001 et les violentes répressions policières qui s’en sont suivies. Autant de points il me semble, qui font appel à différents niveaux, aux nouveaux médias, au questionnement de l’image, la représentation, la diffusion. Un événement d’actualité et sa re-convocation. Sur scène, par quel moyen abordez-vous alors l’image, comment vous questionnez-vous dans cette phase d’élaboration, de réflexion dans laquelle vous vous trouvez, dans le processus de création du spectacle ?

SL : J’ai voulu essayer d’utiliser la caméra pour filmer en direct d’autres prises de parole, des témoignages. Avec les acteurs, nous avons fait tout un travail de recherche. Le premier confinement nous a permis cette solution. Les premières répétitions ont été annulées et nous étions tous chez nous, enfermés. On s’est dit : « Travaillons quand même ». Nous avions des rendez-vous par écran, en Zoom, en image, pour essayer d’avancer. Nous avons beaucoup travaillé sur les faits et les acteurs ont développé toute une série d’improvisations que l’on a filmées lors des répétitions suivantes. Les acteurs se filmant eux-mêmes dans ces situations d’improvisations. Il y a aussi la question du traitement médiatique du sommet de 2001, très présente dans Genova 01 : la mort de Carlo Giuliani, bien sûr. Également les actes de torture, tout ce que l’on a su des années plus tard. La couverture médiatique de la situation a été totalement faussée. Je trouvais donc intéressant que la caméra soit présente afin d’en observer le pouvoir et dans quelle mesure cela peut devenir un contre-pouvoir ou pas ?

Aujourd’hui, tout le monde a une vidéo sur son smartphone et cette situation provoque des questions. Nous avons alors également fait quelque chose autour d’un journal télévisé (JT). Nous avons essayé un faux JT. Nous avons vraiment travaillé avec le JT de l’époque, l’annonce des événements et comment ils ont été traités il y a vingt ans. On tente une mise en abyme, cela se passe au plateau et en même temps c’est filmé et projeté. Comment la situation d’il y a vingt ans peut-elle résonner aujourd’hui sur le plateau? En sachant que plusieurs informations ont vu le jour à présent, c’est-à-dire que la façon dont les choses ont été dites, montrées, n’était pour le moins pas tout à fait vraies. Pour l’instant, nous utilisons la caméra de cette manière.

RP : En ce qui concerne les comédiens, dans leurs improvisations, quels développements a permis la caméra, qu’a-t-elle induit dans leur appropriation du texte, quel est leur rapport à cet outil ?

SL : Pour l’instant, nous sommes sur deux processus différents : en ce qui concerne les manifestants, les témoignages, nous avons travaillé sur les vrais contextes et les vraies situations de chaque groupe de manifestants. Le mouvement alter-mondialiste était extrêmement large, il y avait de nombreux groupes, très différents les uns des autres : les Cobas, les Tute Bianche ou ceux qui étaient juste là pour voir. Tous n’étaient pas là pour les mêmes raisons. Nous avons vraiment essayé de retrouver la parole de ces personnes. Quand les comédiens donnent à entendre la parole des manifestants, leur rapport à la langue est un rapport beaucoup plus immédiat, beaucoup moins formel que celui qu’ils ont avec le texte de Paravidino. La caméra me permet de faire une rupture dans la forme.

Ensuite, il y a l’histoire du JT. Là par exemple, quand Laura joue la présentatrice, nous avons vraiment repris le JT de juillet 2001. Nous avons travaillé un peu comme le fait Françoise Bloch[6], en partant de l’original en quelque sorte. À un autre moment, nous avons repris le discours de Chirac où il dit qu’il doit y avoir quand même un problème ; puisque tant de personnes se réunissent, c’est qu’il y a un problème. Il y a donc un acteur qui reprend Chirac, mais en même temps on joue, c’est-à-dire qu’un autre le filme en direct. À ce moment-là, nous mettons en abyme, nous montrons le code. Yanis [Skouta] s’amuse à entrer dans le corps de Chirac, c’est assez drôle. C’est différent de mon travail habituel de direction des acteurs. Je suis à l’inverse de la composition du personnage, à l’inverse total. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas de la composition, cela permet d’incorporer, de mettre dans le corps une autre parole. Et c’est parce qu’il y a un décalage, cette mise en abyme de la caméra que cela me semble possible. Cet aspect-là est encore très nouveau pour moi. C’est également cette perspective qui m’intéresse. Nous cherchons ensemble avec les acteurs. Ils proposent aussi beaucoup. Je cherchais comment faire pour que la vidéo ne soit pas explicative. Je savais qu’il existait des vidéos des manifestations de 2001, de la mort de Carlo Giuliani également. On le voit au sol, ça existe, mais je ne voulais pas utiliser ces images, et je ne voulais pas non plus projeter des vidéos des violences policières actuelles car le lien est suffisamment clair. Nous avons également le projet d’aller à Gênes car je voudrais filmer les acteurs dans les rues de cette ville aujourd’hui, dans les mêmes rues qui sont décrites. Au fil du processus de création, les images prennent donc plusieurs statuts. À chaque fois, elles viennent s’insérer, percuter, questionner le texte de Paravidino. Il y aura peut-être aussi des enregistrements audio. Ces ajouts sont encore à déterminer, je ne sais pas comment ni si on va les utiliser.

Phot. Petite salle du Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier, lors des répétitions de Genova 01 de Sophie Lagier dans le cadre du dispositif Studio Libre. Phot. ACETONE CIE©

RP : Et spatialement ça vous aide aussi à créer différentes strates, visuellement ?

SL : J’espère ! Ce n’est pas fini du tout… En effet, il y a plusieurs espaces qui apparaissent. Dès que nous faisons un focus, il se passe autre chose et nous entrons dans une autre situation. Cela permet des ruptures assez nettes et plus que des ruptures ; ce ne sont pas des inserts mais des choses qui arrivent en simultané qui viennent complexifier la forme.

RP : Vous parliez précédemment du fait que vous aviez commencé les répétitions par écran interposé, sur Zoom. Pensez-vous que cela ait eu un impact sur votre relation à la caméra et à l’image présentement sur scène ? Que les comédiens aient développé une relation particulière à l’outil ?

SL : Je ne sais pas. Les comédiens sont plus jeunes que moi donc peut-être sont-ils plus habitués. Je me suis posé la question si cela a eu un impact. Pendant nos séances en visio-conférence, nous nous partagions plutôt des textes, des articles ou nos impressions. Nous lisions ensemble des textes plutôt théoriques, philosophiques ou sociologiques. Je ne suis pas sûre que ça vienne de là puisque l’idée de la caméra précédait cette étape. Je ne sais pas si cette situation a accéléré ou simplifié son usage. C’est venu très vite dans les répétitions. Et j’ai eu la chance de répéter au Centre Dramatique National, tout de suite au plateau avec de la technique qui a dû accélérer les choses. Si je n’avais pas répété dans une salle équipée, peut-être que la vidéo me serait apparue très superflue, ou cela n’aurait peut-être pas été le moment. Je ne sais pas ce que cela va changer pour la suite. J’ai vu un spectacle sur Zoom, conçu pour Zoom, j’y suis allée par curiosité mais néanmoins avec un peu de réticence et j’ai trouvé cela très intéressant. De mon point de vue, ce qui me plaît ce sont les allers et retours entre le plateau et l’écran et le fait que pour l’instant, dans nos répétitions, tout ce qui est filmé est en direct.

RP : On peut dire que vous êtes dans la situation où vous avez rencontré un texte qui a induit un outil que vous êtes en train possiblement d’explorer ?

SL : Peut-être ! Oui, je pense.

RP : Parce que c’est ça que je trouve aussi intéressant en faisant cet entretien avec vous, vous êtes à un endroit où vous êtes vous-même en train d’explorer un outil et voir par quel moyen vous pouvez vous l’approprier, quelle est votre porte d’entrée, ce qui visiblement ici est un texte assez fragmenté.

SL : Oui, puis comme vous le dites, la façon dont est écrite la pièce Genova 01 est très cinématographique. Auparavant, je me méfiais aussi beaucoup du phénomène d’engouement pour la vidéo sur les plateaux. La vidéo ne m’aide pas vraiment à distancier mais à faire des interruptions, toujours cela : casser la forme ; ne pas installer la forme. Dans les techniques de montage, j’aime toujours quand on fait se frotter les éléments qui résonnent les unes avec les autres mais qui ne sont pas linéaires les unes avec les autres. C’est une façon également de provoquer de la rupture et de la mise en écho et en résonance.

RP : Et en ce qui concerne l’interprétation des comédiens, est-ce que là aussi vous y voyez une forme de rupture ?

SL : Oui, totalement, ils ne jouent pas du tout de la même façon. La forme n’est pas du tout la même. Les trois acteurs ont déjà tourné et connaissent donc le jeu face caméra. Cette expérience leur donne aussi une ouverture dans le jeu, ils doivent être alertes pour passer d’une forme à une autre. J’aime bien quand c’est comme ça. Quand on casse le système avant qu’il ne s’installe. La vidéo permet cela, sur la forme même du spectacle et sur l’endroit de jeu des acteurs. C’est assez empirique de ma part mais c’est aussi ce qui me plaît, m’intéresse.

RP : Dans vos approches de lecture de textes qui vont potentiellement être mis en scène, à quel moment

Phot. Rébecca Pierrot. Phot. DR

arrivez-vous à visualiser l’utilisation d’un nouveau média ? Est-ce que cela arrive assez tôt pour vous stimuler dans votre processus de création ?

SL : Dans cette création, c’est venu tout de suite. J’ai un autre projet qui doit être créé dans six mois sur lequel il n’y a pas de vidéo, par exemple. En tout cas, cela me surprendrait beaucoup s’il y en avait. Mais depuis que je réalise cette approche, je regarde plus de films. Et puis j’essaye de lire et d’écouter plus de réflexions sur le rapport à l’image: Godard, Georges Didi-Huberman, … et c’est venu aussi grâce à Pasolini.

RP : Pour le moment, c’est plus un travail d’expérimentation peut-on dire ?

SL : Oui. Ce qui est intéressant, c’est que mon travail au plateau a toujours une forme assez forte, j’essaye de tout faire pour que cette forme n’enferme pas les acteurs. L’utilisation de la caméra permet aussi des moments de grande liberté, de choses plus flottantes, plus variables d’une représentation à l’autre. Cela remet un peu d’inconnu, même s’il y en a toujours. Et que la forme puisse être tout à coup déconstruite me plaît aussi, même si après elle est reconstruite. Peut-être que c’est cette alternance de construction/déconstruction qui finalement est en train de devenir la forme que je cherche. Effectivement, cela va de pair avec les écritures contemporaines. La déconstruction de la forme dans la forme c’est ce qui est intéressant.

Entretien réalisé le 29 mars 2021, transcription par Rébecca Pierrot

Relu et autorisé par Sophie Lagier

 

[1] Première de Genova 01 : le 20 janvier 2022 – Scènes Croisées de Lozère.

[2] Fausto Paravidino, Peanuts, Gênes 01, trad. P. Di Meo, l’Arche Éditeur, Paris, 2004.

[3] Cursus Licence Arts du Spectacle, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 ; Master 2 Dramaturgie et Mise en scène, Université Paris Nanterre.

[4] Première :  le 8 mars 2018, Théâtre Jean Vilar – Montpellier.

[5] Les 12 et 13 octobre 2017, Festival Fragment(s), LE CENTQUATRE-PARIS ; les 22 et 23 novembre 2017, Théâtre Garonne – Toulouse – Festival Supernova Théâtre Sorano.

[6] Françoise Bloch de la compagnie belge Zoo Théâtre, in Web : https://www.theatrenational.be/fr/articles/1584-francoise-bloch (consulté le 15 juillet 2021)


Notices biographiques

Sophie Lagieraprès des études musicales, elle intègre le cursus professionnel de formation de l’acteur du Cours Florent à Paris, puis suit des stages d’interprétation (dirigé par Philippe Minyana, Jean-Michel Rabeux, entre autres). Elle est également titulaire d’un Master 2 dramaturgie et mise en scène de l’Université Paris Nanterre. Comédienne, elle joue notamment sous la direction de Jessica Dalle, de Jean-Michel Rabeux, de Karelle Prugnaud, de Félicité Chaton, de Hauke Lanz, d’Irina Dalle, par exemple. Elle développe parallèlement son propre travail au sein d’ACETONE CIE, compagnie dédiée aux écritures et aux formes contemporaines dont elle assure la direction artistique, et au sein de laquelle elle met en scène les textes (Georges Bataille, Paul Auster, entre autres) ou encore des formes transversales et performatives (ANIMALE, MigrationS, ou le laboratoire de recherche Hors-Champ Deligny). Très investie dans la transmission et la formation de l’acteur, elle est chargée de cours d’interprétation et de mise en scène à l’Université, dirige régulièrement des stages d’interprétation pour comédiens professionnels et conduit la formation « Spectacle : les métiers artistiques du théâtre » (Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier en partenariat avec l’AFPA). Elle prépare la mise en scène de Genova 01, de Fausto Paravidino, et de Nos Cabanes, de Marielle Macé. (http://www.acetone-cie.fr)

Rébecca Pierrot est titulaire d’un master Théâtre et Spectacle vivant de l’université Paul Valéry – Montpellier III et obtient en 2021 un contrat doctoral pour son projet de thèse La mise en scène peut-elle se transmettre ? Krystian Lupa et les nouvelles générations théâtrales polonaise, sous la codirection de Didier Plassard de l’Université de Montpellier et de Piotr Rudzki de l’Université de Wroclaw. En parallèle de ses études universitaires, elle a suivi la classe préparatoire du Conservatoire Régional d’Art Dramatique de Montpellier.

Pour citer cet entretien:

Rébecca Pierrot, « Vidéo et déconstruction de la forme. Entretien avec Sophie Lagier « ,  in Critiques. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress, in Web: https://theatreinprogress.ch/?p=1156, mis en ligne le 4 septembre 2021, Rébecca Pierrot©