Endormis

Endormis

Auteur : Izabella PLUTA© 

CRITIQUES. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress avec Comité de lecture (pour cet article  : Claude Beyeler, Simon Hagemann, Jeremy Perruchoud, Rébecca Pierrot) 

Spectacle War Sweet War, mise en scène : Jean Lambert-wild, en collaboration avec Jean-Luc Therminarias, Stéphane Blanquet et Juha Marsalo, première : février 2012 à la Comédie de Caen – Centre Dramatique National de Normandie. Cette critique est une traduction libre du texte sous le même titre (Uśpieni) écrit en polonais et publié dans la revue « Teatr » (janvier, 2013, pp. 74-75). Il s’agit d’un spectacle dont le propos nous séduit toujours par son actualité.  

War Sweet War est un spectacle signé en 2012 par Jean Lambert-wild, Jean-Luc Therminarias, Stéphane Blanquet et Juha Marsalo, dont la première a eu lieu à la Comédie de Caen. Les protagonistes, deux couples jumeaux, vivent une tragédie digne de Shakespeare. Les artistes se fondent sur un fait divers dans lequel de jeunes parents assassinent leurs propres enfants et se suicident ensuite. Les créateurs ne cherchent pas les causes de cette tragédie qui s’est réellement produite ni ne la reconstruisent sur scène. Ils sont également loin de chercher à épater le spectateur avec les détails de ce crime. Ils proposent plutôt une histoire muette, construite autour de cet événement, dans laquelle la cruauté et la souffrance sont exprimées à travers l’expression corporelle forte et puissante.

« War Sweet War », mise en scène: Jean Lambert-wild, Jean-Luc Therminarias, Stéphane Blanquet et Juha Marsalo, Comédie de Caen, Théâtre d’Hérouville, 2012. Phot. Tristan Jeanne-Valès©

War Sweet War s’inscrit dans la continuation de la fascination pour le corps que Jean Lamber-wild avait déjà déplo dans son spectacle Recours aux forêts créé en 2009.  Rappelons que ce metteur en scène français,sur l’île de la Réunion, a grandi dans les années 1970 et qu’il est un artiste aux multiples facettes attiré par des aspects variés de la scène. Il s’intéresse autant aux aspects plus classiques de cet art, comme le démontre En attendant Godot de Beckett (2014), qu’aux perspectives novatrices comme, par exemple, les capteurs physiologiques dans Orgia (2001) ou les images 3D dans la fable Mon Amoureux noueux pommier (2012). Il est auteur dramatique, mais également metteur en scène, parfois de ses propres textes, tels que Crise de nerfs – Parlez-moi d’amour (2004). De plus, il signe les scénographies de quasiment tous ses spectacles et régulièrement celles des créations dautres artistes (Babel, After the war de Lorenzo Malaguerra). Il nous surprend par ses performances d’acteur comme dans Dom juan ou le Festin de Pierre (2019) dans le rôle principal de Dom Juan, en créant son personnage caractéristique, un clown nommé Gramblanc, qu’il incarne lui-même. Il propose également des formes artistiques expérimentales, citons seulement la calenture, forme courte d’une quarantaine de minutes dont le personnage principal est ce même clown blanc.    Lire la suite de Endormis

Acteur et mondes virtuels/Entretien avec Jean Lambert-wild

L’Acteur face aux mondes virtuels : limites et transgressions
Entretien avec Jean Lambert-wild

Réalisé par Izabella PLUTA©

CRITIQUES. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress avec Comité de lecture (pour cet article : Théo Arnoulf, Mélissa Bertrand, Simon Hagemann, Izabella Pluta, Jeremy Perruchoud)

Cet entretien avec Jean Lambert-wild explore la question de l’avenir de l’acteur réel sur la scène aux temps des images virtuelles. Il a été réalisé le 19 novembre 2012 à la librairie Le Rameau d’Or à Genève après la sortie de mon livre L’Acteur et l’intermédialité, publié aux Editions l’Age d’homme (2011). Le travail de Jean Lambert-wild, poète, dramaturge, homme de théâtre, artiste dramatique, clown blanc, scénographe tient une place importante dans cet ouvrage, notamment de par mon analyse du projet interdisciplinaire et du spectacle intitulé Orgia qu’il signe en 2001. L’entretien fut amendé et complété en mai 2020.

Izabella Pluta : Notre discussion aujourd’hui se fait dans le cadre du vernissage de mon livre où ton travail occupe une place importante. Sa couverture porte la photo du spectacle Orgia que tu as réalisé en 2001. Nous nous sommes rencontrés également pour la première fois à l’occasion de cette mise en scène lors de tes représentations à Orléans. Orgia et la question de la technologie dans le spectacle vivant était alors notre point commun. La première eut lieu il y a onze ans déjà. Néanmoins, ce spectacle s’inscrivait d’ores et déjà dans l’histoire du théâtre et ses relations avec l’intermédialité1. Je tiens à souligner que ce qui posait longtemps problème dans ce type de création à composantes technologiques était l’acteur. Il s’agit de la figure vivante qui a sa partition de jeu et qui élabore son personnage d’une manière minutieuse.

Jean Lambert-wild. Phot. Tristan Jeanne-Valès©

Jean Lambert-wild : Le théâtre est un art ayant toujours su utiliser la technique au profit de sa poétique. Il n’y a en soi rien de nouveau. C’est l’inverse qui serait étonnant. Il s’agit d’un mouvement qui commence dès la Grèce antique, si on se souvient de toutes les machineries qui y furent inventées, puis dans le théâtre romain avec les jeux de rideaux comme le siparium2 ou l’aulaeum3 et aussi toutes les surprises que permettaient les deus ex machina. Cette ingéniosité se poursuivit avec le théâtre à l’italienne, puis avec les diverses fantasmagories du XIXe siècle. Lorsque l’électricité arriva dans les villes, elle fut tout de suite employée au théâtre. Ce dernier a toujours essayé de combiner ses espaces de narration et ses espaces de représentation avec les avancées techniques de son époque. Le théâtre est l’art de la tekhné, au sens que lui confèrent les stoïciens, celui d’une hexis hodopoiètiké4, un « habitus créateur de chemin ». En effet, sur scène, nous répétons en miroir les mémoires de notre époque. Nous les assimilons et nous les combinons avec les mémoires passées dont nous avons su garder la trace. Dans ce dispositif technique de mémoire, l’acteur est un vecteur d’information absolument unique car aucune image projetée ou son enregistré ne peuvent égaler ses capacités d’interprétation et de visualisation. L’acteur, s’il veut agir, doit travailler à être une mémoire libre de tous les réflexes sociaux. L’étrangeté de sa fonction n’a de sens que si elle nous émancipe de nos célébrations quotidiennes. Lire la suite de Acteur et mondes virtuels/Entretien avec Jean Lambert-wild