Critique FLASH « La Caméra »

Critique FLASH!

« L’improvisation fait son cinéma »
Auteur : Gemma ARDUINI©

« La Caméra », avec Alain Borek, Laurent Baier, Tiphanie Bovay-Klameth, Odile Cantero, Marion Chabloz, Baptiste Gilliéron, Alain Härtel, Adrien Knecht, Grégoire Leresche, Adrien Mani, Laetitia Mischler, Yacine Nemra, Sylvain Renou, Yvan Richardet, Anita Rodriguez, première: le 11 avril 2023 dans le cadre de Lausanne Impro, Théâtre 2.21 Lausanne

C’est avec adresse que théâtralité et improvisation se lient au dispositif cinématographique dans le spectacle « La Caméra ». Cette pièce d’improvisation, jouée par la troupe Lausanne Impro au théâtre 2.21 à Lausanne du 11 au 31 avril 2023, revisite l’un de leur spectacle « Le Casting ». Afin de marquer les 20 ans de sa création, ce travail scénique est repensé avec l’apport du dispositif cinématographique. Ainsi, « La Caméra » suit six comédiens (les quatre acteurs, le réalisateur et le caméraman) dans la création d’un film : du casting au tournage en passant par sa projection. Chaque soir, une équipe de comédiens différents s’alternent pour imaginer un nouveau film et un nouveau scénario, créant un spectacle unique et surprenant de créativité.

Fig. 1. Clap utilisé pour y inscrire le titre du spectacle, le nom des comédiens, et le titre du film joué lors de la représentation. Phot. Gemma Arduini©

Lors de la représentation du 16 avril 2023, le spectacle jouait le film « On s’est marié », pensé ce soir-là par le comédien Alain Borek qui incarne le réalisateur, et filmé par Grégoire Lereshe (Fig.1). Le spectacle est en deux parties. Lors de la première, le réalisateur auditionne quatre comédiens (joués par Odile Cantero, Yacine Nemra, Laurent Baier et Adrien Knecht) en leur donnant des pistes narratives qui donnent lieu à de courtes saynètes improvisées. Cette partie se termine par la révélation du synopsis et l’attribution des rôles du film qui seront joués en seconde partie. S’ensuit un entracte de dix minutes permettant aux comédiens d’imaginer le film en question. Pour accompagner le tout, un comédien équipé d’une caméra filme ponctuellement le spectacle. Lors des séquences captées, les acteurs tournent le dos aux spectateurs pour se mettre face à la caméra, pendant que les plans sont projetés en direct sur le grand écran, à gauche du plateau (Fig.2). Ainsi, « La Caméra » met en scène cette double production, entre théâtralité improvisée et cinéma direct. Le dispositif mis en place apporte une richesse visuelle et narrative à la pièce, la rendant ainsi des plus intrigantes. Le passage entre théâtre et cinéma est marqué par le mode de projection sur grand écran, reprenant ainsi les codes de la salle de cinéma. Les séquences projetées font l’usage du noir et blanc, ce qui permet de créer une distance avec la temporalité, laissant une impression de déliaison des moments joués et filmés. Ceci est souligné lors de la deuxième partie, durant laquelle les plans filmés représentent des flashbacks, apportant avec ingéniosité de la matière à la trame narrative qui peut ainsi explorer plusieurs chronologies.

Fig. 2. Scène sur laquelle s’est jouée la représentation, avec l’écran sur lequel étaient projetées les séquences en direct. Photo. Gemma Arduini©

Par ailleurs, l’entrée en scène de la deuxième partie est certainement le passage le plus intéressant d’un point de vue cinématographique : la troupe reprend les codes du générique de film en faisant défiler des cartons de présentations devant la caméra, projetant les images en direct sur l’écran. Le caméraman utilise différents procédés cinématographiques, tels que le zoom et le travelling, auxquels s’ajoute une musique pop, rythmant avec entrain la scène d’ouverture du film.

La pièce est construite notamment par le talent des acteurs, qui mènent leur improvisation avec dextérité. Ils arrivent à transmettre des émotions fortes tout en s’adaptant rapidement aux indications du réalisateur, mais également lors du passage aux scènes filmées. Ensemble, ils articulent leurs idées pour créer un spectacle surprenant, drôle, et touchant. Ce soir-là, la performance d’Adrien Knecht était particulièrement saisissante. Lors de la seconde partie du spectacle, il lui était imposé de jouer un double rôle, à la fois le conjoint et le fils. Avec humour et subtilité, il a su incarner ces deux personnages.

« La Caméra » est un excellent spectacle d’improvisation composé de légèreté et de tact qui use du dispositif cinématographique de manière originale et avec virtuosité. À la frontière entre deux mondes, cette pièce propose une pause de gaité et de rayonnement, accompagné d’une production à la touche numérique.

Gemma Arduini est actuellement étudiante en histoire de l’art et en cinéma à l’Université de Lausanne. 

Pour citer cet article:

Gemma Arduini, « L’Improvisation fait son cinéma », in Critiques. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress, in Web : https://theatreinprogress.ch/?p=1672 ; mis en ligne le 5 juin 2023