Laureline LE BRIS-CEP et Adrien GUIRAUD / Entretien

 « Conscience de l’image. Entretien avec les comédiens Laureline Le Bris-Cep et Adrien Guiraud »

Réalisé par Izabella PLUTA © dans le cadre des représentations du spectacle Ctrl-X, mis en scène par Cyril Teste et MxM au Théâtre Poche à Genève

CRITIQUES. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress avec Comité de lecture (pour cet entretien : Claude Beyeler, Margot Dacheux, Simon Hagemann, Maude LaFrance) 

Critique du spectacle : « Ctrl-X», mise en scène: Cyril Teste, scénographie: MxM, première: avril 2016 au Théâtre Poche à Genève, Suisse

Sur le spectacle « Ctrl-X »…PDF
« Ida rentre chez elle dans la nuit et allume son ordinateur. Sa sœur, Adèle, ne cesse de l’appeler, inquiète, mais Ida désire être seule. Le spectateur assiste à cette nuit d’errance immobile sur internet où toute la matière textuelle et interactive qui traverse ce personnage énigmatique nous est présentée. Rien n’est dit de la vie d’Ida, mais par le canal numérique, nous parvenons à saisir l’essentiel de son intimité » (Dossier de presse, Théâtre Poche, Genève).

  L. Le Bris-Cep et A. Guiraud dans    « Ctrl-X » de C. Teste et MxM. Phot. Samuel Rubio©

Izabella Pluta: Nous venons de voir le spectacle Ctrl-X, création de Cyril Teste et du collectif MxM, un spectacle intimiste, utilisant un dispositif technologique complexe. Une mise en scène avec trois jeunes interprètes, Laureline Le Bris-Cep, Adrien Guiraud et Agathe Hazard Raboud qui semblent avoir assimilé facilement les enjeux de l’image projetée. Laureline Le Bris-Cep dans le rôle d’Ida et Adrien Guiraud jouant Pierre et Laurent, vous avez fait votre formation de comédien à Cannes. Quel est le parcours qui mène de l’école d’acteur au travail de Cyril Teste ?

Laureline Le Bris-Cep: Avec Adrien, nous sommes sortis de L’École Régionale d’Acteurs de Cannes (ERAC) en 2014. Nous avons été dans la même promotion. Ça fait deux ans que je travaille vraiment en tant que comédienne depuis l’école.

Adrien Guiraud: Je peux préciser qu’avant l’école de Cannes nous étions également ensemble au Conservatoire du 5ème arrondissement à Paris, avec Bruno Wacrenier.

L. Le Bris-Cep: Nous avons rencontrés Cyril Teste à l’ERAC lorsque nous étions en 3ème année. A ce moment-là, nous avons réalisé avec lui un film: Imago. C’est comme ça que nous avons commencé à travailler avec lui.

I. Pluta: C’est intéressant d’avoir cette expérience cinématographique durant votre formation, ce qui est une pratique relativement présente dans les écoles de théâtre, rappelons-le. Pourriez-vous parler de vos observations par rapport à ces deux domaines artistiques lors de cet atelier avec Cyril Teste ? En tant que comédiens, voyez-vous des similarités entre les approches de création propres au plateau du théâtre, notamment sur le plan des techniques contemporaines dédiées à l’écriture scénique, à la recherche-création, et la réalisation d’un film ?

A. Guiraud: L’aspect commun entre le travail sur un spectacle et un film se situe dans la durée du travail à la table. Avant de se lancer sur le plateau dans le cadre d’un projet théâtral et avant de passer à la réalisation d’un film dans le projet cinématographique, il y a deux semaines de table durant lesquelles on réfléchit à des choses qui nous font penser au sujet, c’est une sorte de brainstorming.

L. Le Bris-Cep dans « Ctrl-X » de C. Teste et MxM. Phot. Samuel Rubio©

L. Le Bris-Cep: Oui, on accumule énormément de matière pour nourrir ensuite notre travail de plateau. Nous avons utilisé un site qui s’appelle Pearltrees où il y a des cartes mentales qui répertorient de nombreuses petites rubriques, des inspirations, des références cinématographiques, des références photographiques, des articles d’actualité. Tous les jours, on faisait ce parcours sur internet, cette « revue de presse » durant deux heures. Nous avons travaillé sur des éléments qui collaient directement au sujet mais parfois nous allions chercher des choses avec des liens indirects par rapport au thème.

I. Pluta: Du point de vue de votre expérience actorielle, considérez-vous déjà cette phase comme le début du processus de création, voir du processus de tournage ?

A. Guiraud: Pour le film Imago – certainement oui. Nous avons écrit également le scénario, donc ce temps de travail à la table était vraiment nécessaire.

I. Pluta: Pour la mise en scène de Ctrl-X l’organisation du travail était-elle similaire ?

L. Le Bris-Cep: Oui, il a débuté par un travail à la table avec différentes recherches. Nous avons commencé par une immersion, c’est comme si tous les petits détails de cette matière rassemblés transpiraient de ce qu’on fait maintenant. Nous avons regardé, par exemple, des extraits de films où nous avons observé comment un acteur s’y relève. Il s’agissait de Permanent Vacation de Jim Jarmusch, notamment le moment de la danse de l’acteur. Nous avons étudié son mouvement pour voir en quoi il pouvait nous inspirer dans Ctrl-X. Je trouve que Cyril Teste à une particularité dans la direction d’acteurs : il nous parle à travers des images, des références visuelles. Il s’agit plus des sensations qui naissent lorsqu’il nous parle, qu’il ravive en faisant référence au passé, à des choses que nous avons vues.

I. Pluta: A cette étape-là, l’équipe de création est-elle déjà avec vous ?

L. Le Bris-Cep: Nous avons commencé ce projet au 104 et il y avait déjà Patrick Laffont qui crée les vidéos, Nihil Bordures qui conçoit le son, Marion Pellissier, l’assistante à la mise en scène, Nicolas Doremus qui est à la vidéo et Mehdi Toutain-Lopez qui s’occupe de la lumière. Oui, il y avait une bonne partie de l’équipe. Et tout le monde pouvait apporter ses idées et sa matière.

I. Pluta: Est-ce-que Cyril Teste utilise une terminologie spécifique durant le processus de création qui a attiré votre attention ?

L. Le Bris-Cep: Il ne parle jamais en termes d’émotions, de sentiments, il ne dit jamais : « là, elle est triste », par exemple.

A. Guiraud: Il parle en termes d’enjeu. Pour Cyril Teste ce qui est très important ce sont les enjeux qui stimulent énormément la création du personnage et l’interprétation. Nous sommes surpris de voir à quel point cette approche facilite la manière de dire nos répliques. Pour deux personnages masculins dans la pièce, Laurent et Pierre, que je joue, il nous disait que leurs enjeux à la base étaient différents mais qu’ils allaient être joués par le même comédien. Je trouve qu’il nous laisse beaucoup de liberté dans notre travail.

I. Pluta: Il y a alors trois comédiens mais quatre personnages. En fait, il y a peut-être un cinquième « personnage » qui serait l’image… Comment avez-vous travaillé par rapport aux projections ?

L. Le Bris-Cep: Ce travail s’est fait en plusieurs étapes. Nous avons eu déjà le texte de Pauline Peyrade que nous avons commencé à décortiquer en fonction de notre positionnement en tant qu’acteurs dans l’espace scénique et également par rapport à la vidéo. La scène et la projection n’étaient pas deux choses qui ont été faites à deux moments différents. La vidéo était complètement liée au plateau, donc tout de suite les vidéastes ont commencé à faire des maquettes de vidéo pour que nous, en tant qu’acteurs sur le plateau, nous trouvions la fluidité du mouvement de notre corps et de l’image. La scène et la vidéo étaient complètement interdépendantes dès le début, je crois.

I. Pluta: Le spectateur a une étrange sensation d’immersion qui est propre aux environnements virtuels, même si dans ce spectacle il ne navigue pas en 3D car il n’a pas de lunette stéréoscopique.

L. Le Bris-Cep: La vidéo est un outil de création et d’expression au même titre que le corps de l’interprète dans l’espace. Cela veut dire que ces éléments doivent jouer ensemble. D’ailleurs, Cyril Teste nous disait souvent : « Joue avec Patrick qui est en vidéo ». Nous sommes amenés à nous écouter.

I. Pluta: Pouvons-nous constater que l’image est un personnage du spectacle et qu’elle est votre partenaire de jeu ?

A. Guiraud: Oui, l’image et le son également.

I. Pluta: Je viens de parler avec Nihil qui m’a expliqué qu’il nommait sa musique « musique poreuse ». Je trouve intéressant ce concept qui contribue à la construction de l’équilibre qu’on ressent fortement dans cette mise en scène. Il n’y a pas de surcharge, tout est fluide.

L. Le Bris-Cep: En effet, les différents éléments restent en équilibre, tout est bien réfléchi et certaines étapes sont plus longues que les autres. Pour construire le début du spectacle qui dure 5 minutes, par exemple, le travail nous a pris une semaine.

A. Guiraud: Cyril Teste passe énormément de temps sur les débuts, avec le spectacle Nobody c’était pareil. Une fois qu’il a le début, ça devient beaucoup plus clair pour lui. Je crois qu’il a vraiment besoin de construire ce commencement. Il s’agit plus précisément de passer du temps en répétition, il s’accorde vraiment le temps de travailler le début, d’y revenir, de le remettre à jour.

L. Le Bris-Cep dans « Ctrl-X » de C. Teste et MxM. Phot. MxM Dr

L. Le Bris-Cep: …pour voir comment le reste suit. Du coup, nous avons passé beaucoup de temps pour construire cette première traversée : trouver l’endroit adéquat dans l’espace, trouver l’énergie juste pour arriver à l’échange avec tout ce qui est interpellé sur le plateau. Achaque fois, on reprenait le début, on recommençait et on ne réavançait que 2 minutes. Le rythme était le suivant : deux semaines de laboratoire au 104 à Paris, une semaine de travail consacré aux matériaux du site Pearltrees (travail à la table) et une semaine où on a commencé à décortiquer le texte. A ce moment-là, on n’avait pas encore la scénographie, donc il y avaient des objets qui faisaient allusion aux futurs éléments scénographiques mais également notre propre travail imaginatif. Ensuite, nous avons commencé avec Patrick à faire des essais vidéo et avec Nihil – des essais de musique. C’est après cette phase-là, que nous avons vraiment commencé à concevoir le spectacle. C’est le sentiment que j’avais quant au rythme du processus de création.

I. Pluta: Est-ce-que cette confrontation du jeu avec l’image exigeait de vous une technique particulière ? Ou alors l’interaction se faisait-elle d’une manière plutôt instinctive, organique ?

A. Guiraud: Je me rappelle le début lorsque nous avons rencontré Cyril Teste, avant encore le tournage d’Imago. Il était venu à l’ERAC avec Julien Boizard du MxM faire un stage de quelques semaines où nous avons travaillé sur la vidéo, des exercices, des gammes que Cyril Teste a inventés avec Julien et d’autres membres du collectif MxM. C’étaient des gammes pour acteur et vidéo qui ont été construites à partir d’exercices variés, visant à assouplir et mieux comprendre le fonctionnement et les enjeux qu’introduit la vidéo. Également, pour apprendre comment s’ancrer dans ce type d’univers en tant que comédien.

I. Pluta: Alors Cyril Teste travaille selon sa propre méthode ?

L. Le Bris-Cep: Je ne sais pas si on peut l’appeler une méthode. Je dirais plutôt des exercices pour se familiariser avec la vidéo, pour pouvoir jouer avec, pour inventer avec. Cela va plus dans la direction de la recherche que des consignes à suivre.

I. Pluta: Est-ce qu’il y a eu un exercice qui vous a particulièrement marqué ou que vous avez trouvé spécialement utile ?

L. Le Bris-Cep: Oui, pour moi c’est le Shadow. C’est un exercice que nous avons fait à l’ERAC où nous avons été filmés et durant lequel nous devions bouger, faire des mouvements assez concrets avec notre corps.

A. Guiraud: C’étaient des traversées, non ?

L. Le Bris-Cep: Oui c’était des traversées. On en avait faites plusieurs et après, les régisseurs vidéo projetaient à l’écran l’image filmée.

I. Pluta: L’image de vous ?

L. Le Bris-Cep: Oui, de nous. Ensuite, cette image était superposée sur une autre image qui était obtenue à travers le filmage en direct du même espace. Les vidéastes diffusaient ce qu’ils avaient filmé en même temps que l’image du moment présent qui était aussi surimprimée. On devait se remettre exactement dans notre silhouette filmée live pour donner l’impression d’une seule image. Ce n’est pas évident de faire cet ajustement parce que nous nous rendons compte que ce qui est difficile ce n’est pas la compatibilité avec l’image mais la temporalité. La temporalité intérieure qu’on ressent en tant que personne n’est pas tout à fait la même durant le moment où on se regarde. Puis, il ne faut être ni en avance sur la vidéo, ni en retard. En fait, il faut complètement se remettre dans le souvenir de ce moment où on a été filmé et retrouver la sensation. Nous avons fait cet exercice il y a trois ans mais il m’a aidée pour Crtl-X où il y a également des moments de caméra subjective, où il faut que je refasse exactement tous les mêmes mouvements en même temps que la vidéo.

A. Guiraud: Quand Ida fait les recherches sur Damas, on a l’impression que la caméra est dans ses yeux, qu’on voit à travers son regard à elle. Ce passage montré au public est préenregistré et Laureline doit s’intégrer là-dedans, dans cette construction visuelle, pour faire comme si ses yeux filmaient cet objet-là en direct.

I. Pluta: Alors nous avons à faire à une fusion qui s’opère sur le plan perceptif entre « l’ici et le maintenant » de la scène et la projection. Je pense qu’il y avait peu de spectateurs qui en avaient conscience…

A. Guiraud: C’est grâce aux six semaines de stage avec MxM et Cyril Teste. C’était quand même une introduction importante.

I. Pluta: Où avez-vous vu l’image préenregistrée ?

L. Le Bris-Cep: Sur un écran.

I. Pluta: L’écran, était-il en face ?

L. Le Bris-Cep: En fait, c’est ça qui est difficile : nous n’avons pas le droit de regarder l’écran. Il a fallu se fonder sur notre propre vision périphérique.

I. Pluta: L’image est alors derrière vous ?

L. Le Bris-Cep: Elle est sur le côté. Parfois, nous faisions des traversées à plusieurs donc nous avions un top de plus par rapport à la personne devant nous, et nous ne regardions pas l’écran. C’est ça qui était très dur, ne pas regarder l’écran. En même temps, il y a quelque chose de tellement instinctif, que si on regarde l’écran, on n’y arrive pas, parce qu’on suit l’image.

I. Pluta: Et pour toi Adrien, cet exercice-là te semble-t-il aussi le plus intéressant ou est-ce un autre ?

   A. Guiraud explique l’exercice du « cadre ».     Phot. Izabella Pluta©

A. Guiraud: Oui, c’est vrai que celui-ci m’a marqué, mais d’autres exercices également. Il y avait un élément tout simple : Cyril parlait de « faire son cadre ». Il s’agit du rapport qu’entretient l’acteur avec une caméra, c’est-à-dire, comment il se met en scène. Il disait, même encore maintenant, « Prenez votre temps et faites votre cadre » quand il mettait des caméras sur le plateau. Je ne sais plus pour quel exercice c’était parce qu’il allait nous filmer en fonction de l’angle du placement de la caméra, du zoom qu’il avait réglé et du cadrage. La question était : « comment travailler avec la rétroprojection ? » Cyril disait : « Tu vois quel espace tu as autour de toi. La caméra c’est un espace qui t’est offert, un espace en forme de pyramide ». Il te laisse un temps au début du travail pour voir quel espace la caméra t’offre, en gros quand tu es hors champ, quand tu es en champ, comment tu te cadres en fonction de là où tu te places.

I. Pluta: En fait, ce que le spectateur voit dans Ctrl-X ne vient pas de l’ajustement de votre corps et de votre jeu avec l’image ?

L. Le Bris-Cep: Non, en effet.

I. Pluta: Comment tu définis le concept du cadre dont parle Cyril Teste ?

A. Guiraud: C’est un espace. Cyril dit qu’une caméra délimite un espace, un peu comme une sorte de pyramide allongée.

L. Le Bris-Cep: Pour définir un peu cet exercice : on avait le vidéoprojecteur qui projetait l’espace pris dans le champ de la caméra sur l’écran et nous, on devait longer avec notre main l’espèce de ligne invisible que produit la caméra, pour pouvoir savoir que là, on est au bord.

A. Guiraud : Comme si c’étaient des murs.

L. Le Bris-Cep: Là, ça y est, je ne suis plus dedans. Juste avec les mains, comme ça, on avait nos frontières (elle fait le cadre avec ces deux mains). Il y a cet espace-là, et il y en a un autre. La question est de savoir à quel moment je suis prise dans les deux espaces, à quel moment je suis prise dans un seul, pour pouvoir la voir de manière instinctive. Nous avons eu encore un autre exercice très intéressant. On devait dire un texte, je crois que c’était Sarah Kane, durant lequel on était filmé vraiment en gros plan, en portrait. Cyril nous demandait juste de dire ce texte. C’était un travail sur la mémoire, on lisait le texte et puis on le ressortait. Ce n’était pas le texte exact, mais la mémoire du texte. Cyril nous disait : « Tu fais deux mouvements : tes yeux qui regardent le sol, une main qui fait ce geste-là, par exemple (Laureline fait un geste). Fais ces gestes sans penser, en étant concentré uniquement sur la mémoire du texte que tu viens de lire ». En fait, nous n’avons pas besoin de prendre en charge autre chose en tant qu’acteur parce que tout de suite nous racontons quelque chose. C’est comme lorsqu’on filme quelqu’un sur un fond « neutre », et que derrière on fait défiler de la verdure, des enfants qui courent, du soleil et qu’ensuite on met ce même visage neutre avec de la pluie. Il est possible que le spectateur projette quelqu’un qui meurt, par exemple, et ça seulement grâce aux superpositions de l’acteur et de l’image. C’est également une démarche que je considère comme agréable pour porter mon rôle car elle apporte un soulagement : on n’a pas besoin de prendre en charge plus que ça.

I. Pluta: C’est intéressant que tu soulèves le sentiment du soulagement. Ce dernier te projette sur une autre perspective de jeu car vous acceptez de jouer aux côtés de l’image.

L. Le Bris-Cep: Paradoxalement, l’intégration de l’image nous met dans un état de concentration très forte. Il faut être à l’écoute de tous ces tops qui, au départ, peuvent être des contraintes. Néanmoins, à force de les intégrer on trouve de vraies brèches de liberté, on ne se pose pas trop la question ni impose une nécessité que nous connaissons du travail sur le personnage, fondé sur les émotions. Ce dernier impliquant un besoin comme celui-ci : « il faut que je convoque ceci en moi ».

I. Pluta: Ces expériences à l’ERAC avec Cyril Teste et MxM me semblent très bénéfiques.

A. Guiraud: Oui, sans doute. En tout cas, pour moi c’était bienvenu, heureusement qu’il y a eu ce stage avant de me lancer dans Ctrl-X.

L. Le Bris-Cep: En même temps, nous nous sommes rencontrés humainement. J’ai compris l’endroit où il cherche, ce qui l’intéresse, et grâce à ça il n’a pas besoin de nous dire certaines choses.

I. Pluta: Je pense que c’est beaucoup plus rapide aussi pour le processus de création.

L. Le Bris-Cep: Curieusement, il n’explique pas quand on travaille, donc c’est vrai que d’avoir travaillé avec lui avant permet de comprendre.

L. Le Bris-Cep et A. Hazard Raboud dans « Ctrl-X » de C. Teste et MxM. Phot. Samuel Rubio©

I. Pluta: Est-ce-que vous pensez que votre jeune génération, qui est née avec internet, a un peu plus de facilité puisqu’elle est immergée depuis tout petit dans les nouvelles technologies ?

L. Le Bris-Cep: Oui, peut-être qu’il y a une adaptation plus évidente.

I. Pluta: Parce qu’après tout, l’image ou le dispositif, c’est aussi un objet scénique avec lequel on joue.

L. Le Bris-Cep : Oui c’est ça. Peut-être qu’il y a un engouement plus fort ou quelque chose dans lequel on peut se reconnaître plus facilement, avec ce genre de dispositif puisqu’il correspond aussi à une réalité peut-être à laquelle on est plus confronté que des gens qui ont cinquante ans. Effectivement peut-être que ce dispositif nous raconte plus de choses…

I. Pluta: L’acteur contemporain a-t-il besoin de nouvelles technologies ?

L. Le Bris-Cep :C’est important qu’aujourd’hui l’acteur sache maîtriser un peu le dispositif, connaisse le vocabulaire plus technique, qu’il sache travailler avec des outils. Je suis contente d’avoir une approche de jeu un peu différente mais en même temps je n’ai pas l’impression que ça corresponde à un style de jeu particulier, parce que je crois qu’il y a autant de spectacles qui utilisent les mêmes outils que d’esthétiques et de styles. Je ne sais pas si les nouvelles technologies correspondent à une esthétique définie. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’un spectacle intégrant des solutions technologiques présente une esthétique qui lui est propre, la mise en scène est cohérente.

I. Pluta: En tout cas vous avez l’air d’être à l’aise avec ces outils.

L. Le Bris-Cep : Oui, parce que nous avons travaillé avec. Je crois que l’acteur acquiert cette compétence au moment où il expérimente ce matériau technologique durant une mise en scène. Après tout, c’est un outil comme un autre…

 Théâtre Poche, Genève, le 24 avril 2016, transcription par Damien Guéniot

Adrien Giraud – formé à l’ERAC, entre 2011 et 2014, Adrien explore des textes classiques et contemporains (Sophocle, Calderon, Shakespeare, Musset, Büchner, Kleist, Tchekhov, Pasolini, Llamas, Richter) en travaillant avec des metteurs en scène aussi différents que Richard Sammut, Laurent Gutmann, Marcial di Fonzo Bo, Giorgio Barberio Corsetti, Catherine Marnas, Jean-Pierre Baro, Nadia Vonderheyden et Cyril Teste. Depuis 2014, il travaille avec les acteurs du collectif La Carte Blanche (Transition mis en scène par Vincent Steinebach). Au cinéma, il joue sous la direction de Sarah-Jane Sauvegrain (Marito) et de Cyril Teste (Imago). Dernièrement, il joue dans les projets de Laureline Le Bris-Cep (Reste(s) d’après Guerre de Lars Norén, Partez Devant de Quentin Hodara) et de Christelle Harbonn (Shunt).

Laureline Le Bris-Cep se forme au CEPIT du Conservatoire de Cergy-Pontoise, puis au conservatoire du 5e arrondissement de Paris avec Bruno Wacrenier. Elle est ensuite reçue à l’ERAC. Elle joue dans Du sang sur les roses mis en scène par Lucie Rébéré. Avec Catherine Marnas elle rejoint la création de N’enterrez pas trop vite Big Brother. Elle tourne dans Imago, le premier long métrage de Cyril Teste. Giorgio Barberio Corsetti la dirige dans La famille Schroffenstein de Kleist lors du festival d’Avignon 2014. Reste(s), sa première création est produite par la Friche Belle de Mai à Marseille. Elle joue dans Zohar ou la Carte Mémoire mis en scène par Laurent Gutmann. Elle cofonde également le Collectif Le Grand Cerf Bleu, dont elle monte la première création Non c’est pas ça !.

 Izabella Pluta – docteure ès lettres et chercheuse associée au Laboratoire de cultures et humanités digitales (Université de Lausanne) et au Laboratoire Passages XX-XXI (Université Lyon 2).

*Voir la critique du spectacle Ctrl-X du même auteur dans Frictions, no 27, janvier 2017.

Pour citer cet article:
Izabella Pluta, « Conscience de l’image. Entretien avec les comédiens Laureline Le Bris-Cep et Adrien Guiraud », Critiques. Regard sur la technologie dans le spectacle vivant. Carnet en ligne de Theatre in Progress, in Web : <https://theatreinprogress.ch/?p=228>, mise en ligne le 26 avril 2017, Izabella Pluta©